Un peu de géographie

Un peu de géographie au pays du Mézenc

paysage

Crédit photo Jean-Marc Demars, Centre Haroun Tazieff. Panorama de Saint-Clément sur les hautes Boutières et le Mézenc.

Le Mézenc exerce une influence culturelle à plus de 70 km à la ronde. Géographie physique et géographie humaine découpent à leur manière une histoire inscrite dans le paysage sans que nous puissions la décrypter dans toute sa complexité. Nous proposons ici une esquisse de géographie culturelle du Mézenc. Il s’agit d’une approche subjective : la sélection de quelques faits et l’agencement des arguments par lesquels nous les relions relève de choix dictés par l’expérience et par les enjeux de gestion du territoire. Une subjectivité assumée ne vaut-elle pas mieux que celle qui se pare d’une objectivité indémontrable ?

La géographie est un mode de description du présent de l’environnement comme transition du passé vers l’avenir. Et la question éolienne en est l’un des sujets actuellement particulièrement sensibles tant au plan local que national et européen, au même titre, par exemple, que l’évolution de l’architecture, y compris agricole. La géographie est donc essentiellement un outil forgé pour le travail des enjeux de société. En Mézenc, le vent est l’une des données fondamentales de la géographie. Réputé pays de confins, ce massif est la destination ultime des trois climats de l’Hexagone : l’océanique, le méditerranéen et le continental. Les climats y jettent leur dernier souffle, mais quel souffle ! ” Il soufflait sur ces hauteurs un vent aigu dont l’aile avait touché le front neigeux des Alpes, vif à tuer les faibles et à rendre centenaires les forts “, écrivait Jules Vallès au sujet du Mézenc. La littérature n’étant pas de la météorologie, Vallès ne pouvait en un aphorisme associer la force du vent aux Alpes qu’il contemplait des hauteurs de Chaudeyrolles, sans prendre quelques libertés avec la géographie climatique : le vent d’est est le seul qui soit quasi inexistant en Mézenc. Les vents dominants, avec des rafales dépassant chaque année les 200 km/h, viennent de la Méditerranée ou y volent. Lorsqu’ils en viennent, et ce sont les plus violents, le Mézenc étant le relief le plus élevé entre la bordure sud du Massif central et la côte. Il y a cependant l’obstacle du Tanargue, massif principalement granitique culminant à 1 500 mètres en bordure sud du secteur volcanique qui sommeille en Ardèche, qui provoque les précipitations les plus importantes de la région lors des épisodes cévenols. On y a enregistré quelques records nationaux de pluviométrie. Le vent du nord, lui, se fera Mistral en bas Vivarais et dans le Gard tout proche. De l’ouest, nous vient la Traverse, moins puissante, moins fréquente.

Contrainte permanente, ce vent est une ressource majeure depuis que l’élevage bovin s’est installé de façon permanente sur ces hauteurs, il y a plusieurs siècles. La richesse naturelle des pâtures tient autant à l’ensoleillement qu’à la nature volcanique des sols et à l’étage bioclimatique pré-alpin. La productivité en fourrage de haute qualité est augmentée par le vent qui, permettant un séchage rapide sur prés fauchés, fournit de quoi nourrir le cheptel sur place au long d’hivers qui peuvent durer six mois. Pas de transhumance, donc et un habitat permanent, ce qui en ces altitudes est rare dans les massifs européens. Le ” Fin Gras ” est l’appellation d’origine de la viande de bœuf issue du mode d’élevage traditionnel propre à ces caractères géographiques du Mézenc. L’architecture d’une valeur paysagère remarquable témoigne encore de ces particularité, avec ces longues fermes du Mézenc, toutes faites de laves, orientées nord-sud, avec l’étable au nord et une immense grange assurant l’isolation de l’habitat des bêtes et des hommes. Généralement implantées dans la pente des volcans et des coulées, ces fermes à deux niveaux se caractérisent souvent par l’un des murs de long-pan enterré, contribuant à l’isolation thermique, tout comme l’épaisseur des maçonneries qui peut aller de deux mètres à la base à soixante-quinze centimètres aux têtes de murs. Architecture austère, de peu d’ouvertures, où le noir et les gris de la pierre sont constellés de lichens couleur de rouille et parfois blancs, aux toitures sans lucarnes ni chiens assis, couvertes de lauzes de phonolite, cette lave qui se débite aisément en dalles.

Le bois des charpentes, en résineux de montagne, vient des forêts de plus basse altitude de Haute-Loire et d’Ardèche. La production vivrière locale est enrichie par la proximité des vergers et maraîchage d’Ardèche et de Drôme. Les marchés de villages persistent mais leurs volumes sont en diminution constante, comme le sont les salles de classes dans les villages peu nombreux qui ont pu conserver une école. La problématique des zones rurales minées par la politique agricole européenne, accentuée en régions de montagne, offre à l’économie du tourisme ” vert ” et patrimonial un horizon qui, marié à l’émergence de circuits courts et de vente directe pour une agriculture peu intensive, devient la seule perspective pour enrayer la chute de la démographie. La diminution progressive de l’enneigement conduit à une promotion touristique toutes saisons, mais la rudesse persistante du climat en limite la rentabilité à quelques semaines plus ou moins estivales, de juin à septembre. Le marché de l’habitat secondaire sauve beaucoup de maisons de village ou de fermes isolées, permet un volume de travail appréciable aux artisans du bâtiment, mais ne génère guère d’installations permanentes.

Ce contexte économique et social a conduit à une recherche de valorisation patrimoniale par le paysage, par la géologie, par le volcanisme, par la biodiversité, par les écrins d’architecture ou les bassins d’histoire. Mais aussi par le vent. Une contrainte devient une ressource par l’opportunité de la spéculation financière, moteur de l’éolien industriel. Des maires et présidents de communautés de communes reconnaissent en privé que le dossier de l’éolien industriel ne tient pas la route au plan de la rationalité économique, mais en public ils se montrent chauds partisans de son développement sur leurs terres, l’argent n’ayant pas d’odeur. Un seul maire du Mézenc a su combiner cette ressource financière opportuniste avec une valorisation profonde du patrimoine local pour dynamiser le territoire sans le dilapider, c’est celui qui a présidé le conseil communal du village ardéchois de Saint-Clément de 1974 à 2014. Bernard Cuoq était un petit agriculteur qui faisait encore la traite à la main. En 1992, témoignait-t-il en 2012, l’idée d’installer un parc éolien à Saint-Clément a émergé. A l’époque, le Conseil régional de Rhône-Alpes proposait son aide pour les communes souhaitant réaliser des projets éoliens. Au début des années 1990, on parlait très peu d’éoliennes ! J’ai donc pensé que cette aide pourrait être une formidable opportunité de se lancer dans un projet innovant et qui permettrait de renforcer l’attrait touristique de Saint-Clément mais aussi d’avoir des rentrées d’argent supplémentaires. Le projet a un peu piétiné au départ. Il faut dire qu’il s’agissait d’un des premiers parcs éoliens à être présentés en préfecture, où on manifestait peu d’entrain à suivre le dossier. L’accompagnement d’OSTWIND, présent à nos côtés à toutes les étapes clés du projet, nous a permis de le mener à terme sereinement. Nous avons noué une relation très positive ! Aujourd’hui, grâce aux retombées économiques des éoliennes, nous pouvons financer le fonctionnement de l’Ecole du Vent, qui reçoit chaque année environ 9 000 visiteurs

Ces éoliennes sont les moins hautes de la région, 80 mètres, il n’y en a que deux et leur emplacement ne fusille pas les panoramas somptueux de Saint-Clément. L’Ecole du vent est une très belle réalisation, tant pas la restauration d’un beau bâti traditionnel que par la qualité de sa muséographie et celle de ses animations. Par contre, quels que soient les convictions de ses animateurs au sujet de l’éolien industriel, ils sont obligés d’en faire l’éloge.

Le vent est l’une des valeurs patrimoniales fortes du Mézenc. Associé à la neige, il forme la burle, un blizzard de légende qui tisse au quotidien la culture locale aussi sûrement que les volcans. Cette burle dont chaque famille peut enrichir la mythologie de ses expériences propres, enchante les évocations nostalgiques jusqu’aux limites de cette aire de 70 km de rayon qui fait du Mézenc un sorte de pôle magnétique auquel personne ne saurait se soustraire.

F. L., octobre 2015.