Fleuve, rivières et lacs

Bataille de l’eau 

Sécheresse en France : l’eau de la Loire détournée vers l’Ardèche au cœur d’un vaste débat 

L’Éveil de la Haute-Loire le 18/11/2022

  Lionel Ciochetto 

(Extrait)

Les 200 à 220 millions de m3 d’eau de la Loire détournés chaque année vers l’Ardèche sont au cœur d’un vaste débat amorcé à l’horizon du renouvellement de la concession de l’usine hydroélectrique de Montpezat-sous-Bauzon, en Ardèche. Si rien n’est tranché, les intérêts entre les territoires divergent un peu, mais tout le monde s’accorde à dire que l’eau est devenue, en 2022 plus que jamais, un enjeu majeur pour l’avenir, dont il faudra assurer une bonne gestion. 

La Haute-Loire n’avait, jusqu’à présent, que peu souffert du manque d’eau. Mais depuis cette année, la ressource est devenue un enjeu bien réel, avec la sécheresse qui se poursuit cet automne. Un constat qui vient appuyer un peu plus le débat lancé par SOS Loire-Vivante pour revoir « le partage de l’eau de la Loire avec l’Ardèche ». 

L’eau de la Loire détournée vers l’Ardèche 

Chaque année, on estime qu’en moyenne, environ 200 à 220 millions de m3 d’eau de la Loire changent de bassin-versant et s’en vont rejoindre l’Ardèche en étant turbinés à la centrale hydroélectrique de Montpezat-sous-Bauzon.
Si l’idée de départ était ingénieuse, cette eau de la Loire fait aujourd’hui défaut sur le fleuve. C’est ce que soutiennent les associations de protection de l’environnement comme SOS Loire-Vivante. Cette dernière a lancé un débat sur le partage de l’eau alors que se profile d’ici 2029 le renouvellement de la concession hydroélectrique. Cette semaine, elle a organisé un webinaire (le second d’une série de quatre) consacré à cette thématique. « Nous avons un problème sérieux avec l’eau cette année… Peut-être en aurons-nous d’autres dans l’avenir. Alors je m’interroge sur les activités liées à cet usage de l’eau qui part en Ardèche », explique le président de SOS Loire Vivante Roberto Epple. « On parle des activités humaines, mais nos rivières en elles-mêmes ont particulièrement souffert cette année ! » 

Production électrique 

Du côté, d’EDF, on comprend que Montpezat soit pointé du doigt pour l’eau de la Loire qu’elle détourne, mais le complexe est d’importance. Concernant la production énergétique, « Montpezat est une usine stratégique d’intérêt national », rappelle Sylvain Lecuna, délégué territorial EDF Hydro Loire-Ardèche. Avec une puissance de 130 MW, elle produit chaque année l’équivalent de la consommation domestique d’environ 120.000 habitants. Et surtout, l’hydroélectricité offre une souplesse importante à EDF. « L’électricité, on ne la stocke pas. Il faut tout le temps approvisionner en fonction de la consommation ». Particulièrement en hiver aux heures de pointe, lors des pics de consommation.
Outre la production électrique, l’autre volet de Montpezat mis en avant par EDF concerne les lâchers d’eau en période de sécheresse. 

Un soutien d’étiage 

« Tout le volet soutien d’étiage a évolué et a été très actif cette année avec la sécheresse, aussi bien côté Ardèche que côté Loire », souligne Sylvain Lecuna.
En 1954, il n’y avait aucun soutien d’étiage du complexe de Montpezat vers l’Ardèche. « Il n’y avait pratiquement rien pour la Loire, le soutien d’étiage était 70 % plus faible qu’aujourd’hui ». EDF maintient aujourd’hui un débit instantané de 1 m/seconde sur la Loire à Pont de la Borie (juste en dessous du Lac d’Issarlès). En moyenne, entre 1988 et 2022, le soutien d’étiage sur l’Ardèche représente un volume annuel de 8,3 millions de m3 d’eau. Sur la Loire, il était entre 1988 et 2014, de 500.000 litres. Depuis 2014, il a été augmenté fortement, en passant à 1,78 million de m3 annuels en moyenne depuis 8 ans. Pour résumer, il part donc environ quatre fois plus d’eau vers l’Ardèche que vers la Loire. 

« Pour faire ce soutien d’étiage, nous commençons à stocker l’eau en hiver, lorsqu’elle ne manque pas, pour avoir dès le mois de mars une réserve disponible de plus de 12 millions de m ».   Sylvain Lecuna

Mais en raison du manque de précipitations en hiver, il n’y a eu cette année que 9 millions de m3 au lieu des 12 normalement prévus. « Il a fallu gérer ce volume, avec un volume délivré en baisse côté Ardèche pour préserver le soutien d’étiage sur la Loire. » Un soutien particulièrement précieux en 2022, marqué par cette sécheresse exceptionnelle.
Pour Roberto Epple, il y a aussi « un souci sur l’Ardèche et la Loire. Il faut produire de l’électricité, et donc lâcher de l’eau, à des périodes où on n’en a pas besoin… Ce n’est pas le bon moment pour nos rivières », déplore-t-il. 

Une ressource rare et des enjeux multiples 

« L’eau est rare, il faut y faire attention », prévient Pascal Bonnetain, président du Sage (schéma d’aménagement et de gestion des eaux) du bassin de l’Ardèche. « L’eau est surtout devenue un enjeu important car il y a de plus en plus de demandes. Il faudra peut-être que les usagers changent de comportements : changer les cultures, mettre moins d’eau dans les piscines, prendre moins de douches ou tout simplement faire du canoë différemment », s’interroge le président du Sage Ardèche. Un département soumis à des amplitudes très fortes sur ses rivières « avec des étiages sévères et des épisodes cévenols parfois très importants ».
Et même « s’il n’y a pas de hiérarchie dans ces différents usages de l’eau, il faut être dans la pédagogie. C’est comme cela qu’on pourra fonctionner. Il faut encourager les stratégies d’économie, les interconnexions et les nouvelles ressources en eau ». 

« En 2022, nous avons eu un signe avant-coureur de ce qui nous attend avec le changement climatique. Il y aura de moins en moins d’eau en été. La question du soutien d’étiage devient centrale ». Marc Vérot (agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse) 

 

Pour le président de la fédération de pêche de Haute-Loire, Lionel Martin, « heureusement que nous avions le soutien d’étiage de Montpezat cet été sur la Loire ! Seul bémol, les dates du soutien, entre le 15 juin et le 15 septembre… »
Pour EDF, « les 200 millions de m3 qui sont dérivés, il faut les voir de façon globale. Ils se font surtout l’hiver, en période de crue, alors qu’en été, les débits naturels de la Loire ont été doublés », poursuit Sylvain Lecuna.
« Si on n’arrive déjà pas à remplir nos barrages pendant l’hiver, on ne risque pas d’imaginer en créer d’autres… Il va surtout falloir penser à prélever moins d’eau », fait remarquer Roberto Epple. « Il faut poursuivre ce processus de dialogue », conclut le président de SOS Loire Vivante. 

Quatre réservoirs interconnectés et une usine en Ardèche 

Si l’idée paraissait relativement simple, en profitant d’une différence de dénivelé énorme en changeant de bassin-versant, la réalisation de l’ensemble hydroélectrique de Montpezat a nécessité des travaux d’envergure sur l’ensemble du plateau Ardéchois. Car pour alimenter la centrale, ce sont quatre réservoirs qui sont interconnectés entre eux qu’il a fallu aménager. 

Le plus gros réservoir est le lac naturel d’Issarlès, offrant une capacité de stockage de 30 millions de m3 d’eau. Il est alimenté par le barrage de la Veyradère au Béage, sur la rivière du même nom. Deux autres barrages ont été construits pour alimenter Montpezat : celui de la Palisse sur la Loire (commune du Cros-de-Géorand) avec 7,5 millions de m3 et celui du Gage, lui-aussi au Cros-de-Géorand, qui apporte 3,5 millions de m3 supplémentaires. Tous ces réservoirs d’eau sont reliés entre eux. 

Un lac percé, une usine creusée dans la roche 

« Le lac naturel d’Issarlès a été percé pour être relié aux différents organes de Montpezat. Issarlès est un peu le poumon du complexe hydroélectrique grâce à son volume de stockage de 30 millions de m3 qui est la plus grosse capacité de stockage des différents réservoirs », résume Sylvain Lecuna d’EDF. Les trois réservoirs principaux que sont le lac d’Issarlès, le barrage de La Palisse et le barrage du Gage, communiquent entre eux via un ensemble de galeries souterraines qui s’étirent sur près de 25 km au total.
Pour faire fonctionner les turbines installées à 120 mètres sous la surface à Montpezat (la salle des machines a été creusée dans la roche) une conduite forcée de 1,4 km pour 635 mètres de hauteur de chute d’eau a été aménagée. Une hauteur très importante qui permet d’offrir une puissance de l’ordre de 130 MW. 

Un complexe unique, à cheval sur deux bassins-versants 

L’eau détournée de la Loire (mais aussi du Gage et de la Veyradère, deux rivières du même bassin-versant) est turbinée dans la centrale de Montpezat-sous-Bauzon. Elle s’en va rejoindre l’Ardèche via un canal de fuite et un autre barrage. 

  L’eau qui devait normalement rejoindre l’océan Atlantique va donc, au final, rejoindre la mer Méditerranée. « Pour avoir la même hauteur de chute d’eau tout en conservant le même bassin-versant, il aurait fallu amener l’eau jusqu’à Roanne et réaliser 150 km de canalisations, justifie Sylvain Lecuna, d’EDF. Alors que là on est à 20 km ».
Un changement de bassin-versant unique en France et presque aussi en Europe.
« Il n’y a qu’un seul autre exemple dans toute l’Europe, avec la Segura, en Espagne, où l’on détourne de cette façon l’eau d’un bassin-versant naturel vers un autre bassin-versant », fait remarquer Roberto Epple, de SOS Loire Vivante.  « Ce qui se passe ici, entre la Haute-Loire et l’Ardèche est donc assez unique. En Espagne, le volume d’eau détourné sur le fleuve la Segura est un peu comparable à celui de Montpezat et aujourd’hui, ils se retrouvent dans une situation encore plus difficile qu’avant ! Car une fois que le transfert de l’eau a été fait, toute l’agriculture intensive s’est installée et a utilisé encore plus d’eau », déplore-t-il. Un mauvais exemple qu’il ne voudrait pas voir se répéter entre la Haute-Loire et l’Ardèche. 

Quels usages de l’eau ? 

D’où cette question récurrente de l’usage de l’eau détournée sur le bassin ardéchois, même si elle a déjà permis de fournir de l’électricité. « De l’eau pour l’Ardèche oui, mais dans quelle quantité et pour quels usages ? Pas pour faire du canoë sur la rivière Ardèche ou pour une agriculture peu respectueuse de l’environnement ».  

 


 

Le Mézenc = château d’eau

Extrait de La Bulle n° 20 Mai 2017 :

Avec l’autorisation de Jean PESTRE

Président de l’association Oustaou Vellavi

 

Chevelu hydrographique du Mézenc et ligne de partage des eaux Atlantique-Méditerranée